• Congo-Brazzaville : Interview de Jean-Claude Mayima-Mbemba sur le MCDDI et l'opposition congolaise

    CONGO-BRAZZAVILLE : Entretien à propos de l'Oppostion congolaise.

     

    INTERVIEW de Jean-Claude MAYIMA-MBEMBA

    Accordée à Kimpwanza, à Paris, le 15 août 2006

    KIMPWANZA : M. Jean-Claude MAYIMA-MBEMBA, vous êtes l'un des principaux acteurs politiques congolais à l'étranger. Quels sont vos rapports personnels avec le MCDDI, étant donné que votre parti a quitté les deux plateformes de l'opposition (le CODE A et la CODESA) pour faire allégeance au pouvoir inconstitutionnel ?

     

    JEAN-CLAUDE MAYIMA-MBEMBA : Je vous remercie de m'accorder cet instant et cet espace pour vous donner mon avis, mon point de vue.

    Vous me posez ici une double question. Je vais essayer d'y répondre en deux parties.

    1) - Je suis toujours membre du MCDDI et membre du Bureau Exécutif National ( B.E.N.). Je suis Secrétaire national chargé des Relations avec l'Union Européenne. Mais, voyez-vous, comme tout parti politique ouvert, le MCDDI n'est pas un parti à CERVEAU UNIQUE. Il n'a jamais été dit dans ce parti que personne n'a le droit de s'exprimer librement tant qu'on n'injurie personne. Ma prise de position de ce jour n'engage nullement le MCDDI. C'est en citoyen Congolais et ressortissant du Pool que je m'exprime, en toute liberté.

    2) - Le MCDDI fait toujours partie de l'opposition. Mais dans le cas d'espèce de ce parti, les raisons de son départ du Code A et de la CODESA sont simples. Le MCDDI est l'un sinon le principal parti politique qui, durant des décennies, a été voué à la mort, à la disparition totale, avec toutes les persécutions de ses membres que l'on sait. Tout a été fait pour que cela se passe ainsi. Dans l'état où il se trouve, totalement désorganisé, à dessein d'ailleurs, il lui est pour le moment pratiquement impossible de faire face aux devoirs qu'impose une opposition crédible, fiable et solide. Le principal souci du MCDDI, pour le moment, est d'abord de s'organiser, de remettre en place ses structures de base disloquées pour les raisons que tout le monde connaît.

    De là à dire que le MCDDI ou son président fait allégeance au régime en place, c'est peut-être, si je puis me le permettre, un peu mettre la charrue avant les boeufs, c'est peut-être aller trop vite en besogne. Ce n'est pas parce que le MCDDI ne fait plus partie du CODE A ou de la CODESA que du coup il a basculé chez l'autre. Détrompez-vous. Le Congo a des problèmes, de très sérieux problèmes. Ce n'est ni le CODE A, ni la CODESA, tout seul, qui les résoudra. C'est la somme de toutes les énergies nationales qui en viendra à bout. Pour exemple : Le CERNON du général Ngouelondele, à ma connaissance, n'est membre ni du CODE A ni de la CODESA.

    Pourrons-nous nous permettre de dire que le CERNON ne compte pas dans l'opposition ? Le MCDDI, pour ma part et jusqu'à preuve du contraire, n'a pas fait allégeance au régime en place. Il peut tout au moins discuter, dialoguer avec lui pour essayer de trouver les remèdes applicables à l'état de délabrement que connaît notre pays. Comme un malafoutier qui a perdu son couteau et qui le recherche dans tous les coins et recoins, le MCDDI est donc un parti qui, comme d'autres, travaille pour cette quête de paix que le peuple congolais, dans son ensemble, souhaite vivement. C'est pourquoi je dis qu'il est certainement prématuré de spéculer là-dessus. Laissons cette idée d'allégeance aux oiseaux de mauvais augure. Laissons le temps au temps.

     

    KIMPWANZA : Nous connaissons vos nombreuses prises de position sur la situation politique qui prévaut dans votre pays, la République du Congo. Aujourd'hui, l'ancien Premier ministre, M. Bernard Kolélas, président de votre parti, le MCDDI, n'est plus en exil. Pensez-vous qu'avec son retour à Brazzaville, la paix est revenue au Congo ?

    JCMM : Personne n'ignore les conditions dans lesquelles le Premier ministre Bernard Kolélas est rentré à Brazzaville. Ce retour n'est pas à l'actif volontaire des autorités de Brazzaville. Il est dû à un concours de circonstances douloureuses, même si les autorités de Brazzaville ont joué le jeu dit "humaniste". Ce qui n'est pas mauvais en soi. Quant à savoir si la paix est revenue dans le pays avec le retour à Brazzaville du premier ministre Bernard Kolélas, c'est à voir, car les cartes ne sont pas dans les mains du Premier ministre Bernard Kolélas.. Je m'explique

    Je connais le Premier ministre Bernard Kolélas. Tout le monde au Congo connaît la motivation de l'homme et ce qui l'anime. Oui, son credo c'est la Paix. Mais, il faut au minimum être deux pour faire la paix. M. Bernard Kolélas, lui, tout seul, ne peut et ne pourra pas la faire si ceux d'en face ne la veulent pas. Aujourd'hui, tous les exilés sont encore à l'étranger. Tout le monde réclame l'organisation d'un CARREFOUR NATIONAL. A mon avis, le message ne semble pas être entendu.

     

    KIMPWANZA : A votre avis, c'est encore loin et peut-être hypothétique cette paix tant souhaitée, réclamée et attendue par tous les Congolais ?

    JCMM : L'opinion nationale, voire internationale, est unanime. Le pays va mal, très mal : mauvaise gouvernance, mauvaise gestion, corruption à outrance, enlèvements, tentatives d'assassinats et assassinats très subtiles soit par empoisonnement, soit par des groupes dits "incontrôlés" de type "Tonton Macoutes", etc. Dans ces conditions, je ne sais pas si la paix est revenue au Congo. Ce n'est pas parce que les armes se sont tues que la paix est là. Il y a plusieurs moyens pour continuer à faire la guerre aux populations congolaises. Ces moyens sont incolores et surtout inodores. On peut continuer de massacrer en masse par la faim, par la soif, par la privation des soins médicaux, par la privation de l'accès au SAVOIR, à la CONNAISSANCE.

    Ce sont là aussi des armes de guerre très subtiles, quoi qu'on en dise. Par exemple, les écoles, les dispensaires, les centres médicaux, les églises et autres infrastructures comme les routes, les ponts bombardés entre 1997et 2004, ont-ils été réhabilités, restaurés, reconstruits ? Jamais. Alors, de quelle paix peut-on parler ? Le régime en place a-t-il la volonté politique de réparer ses fautes ? Est-il prêt et capable de s'amender ? Sans quoi, je demeurerai très sceptique sur la question. Il faut aimer ce pays pour penser à la paix. Mais l'avenir nous le dira.

     

    KIMPWANZA : Pourquoi êtes-vous sceptique ?

    JCMM : Lorsque des hommes qui disent aimer leur pays, et au grand mépris des vies humaines, importent des troupes étrangères, recrutent des mercenaires de diverses nationalités et leurs supplétifs, lesquels n'ont jamais quitté notre pays, uniquement pour reconquérir le pouvoir perdu à la régulière et ont pour seul programme que faire la chasse à leurs compatriotes qu'ils traitent de rats, d'où l'expression "ratisser mètre carré par mètre carré" et toutes ces guerres qui s'en sont suivies, il est difficile et impensable que de tels hommes puissent aspirer à la paix. Leur seule loi, c'est la barbarie, la bestialité, la violence. Donc le crime impuni. Je pense aux Défenseurs des Droits de l'homme que sont MM. Mounzéo et Makosso auxquels on a collé la fallacieuse accusation de détournement de fonds, parce qu'ils ont commis le crime de lèse-majesté d'avoir osé interpeller les gouvernants du Congo sur la transparence des revenus pétroliers du pays. Mais, voyez-vous, le ridicule ne tue pas. Ce sont ceux qui pillent le pays de façon très éhontée qui se dressent en justiciers, alors que c'est eux qui écument les paradis fiscaux. Ce n'est pas moi qui l'ai déclaré ou avoué. Cet aveu est de M. Isidore Mvouba, le Premier ministre inconstitutionnel.

     

    KIMPWANZA : Expliquez-vous sur le terme inconstitutionnel. Que voulez-vous dire par là ?

    JCMM : C'est très clair. La constitution en vigueur aujourd'hui dans le pays n'est pas héritée d'un autre régime. Elle est bien taillée à la mesure du personnage qui l'a voulue ainsi. M. Sassou Nguesso. Dans cette constitution, il n'est prévu nulle part, la création d'un Premier ministre. En plus d'avoir violé sa propre constitution, M. Sassou Nguesso est coupable de parjure.

     

    KIMPWANZA : Vous venez de dresser un tableau très sombre de votre pays. Qu'est-ce qui manque alors ?

    JCMM : La volonté politique. Il faut vraiment aimer ce pays pour réparer le mal qui lui a été fait. A l'instant présent, on a l'impression d'être en face des individus venus d'ailleurs, d'un autre monde, d'une autre planète. Une sorte d'extra-terrestres. Même les colons français n'ont pas fait ce qu'on est en train de faire à ce pays et à son peuple. Pour ma part, je n'attends rien de ces hommes qui disent gouverner le Congo. Cependant, une seule chose est sûre : "Un peuple longtemps brimé, longtemps martyrisé et qui n'attend plus rien de personne, finit toujours par se révolter, tôt ou tard. Ce jour là, plus rien ni personne ne pouvant le contrôler, il s'en prend d'abord à l'objet réel de ses malheurs, avant de se retourner, si nécessaire, contre ses propres leaders". Il y a donc de quoi faire très très attention. Le peuple congolais n'est pas fini, il n'est pas écrasé pour autant, contrairement à ce que pensent ou s'imaginent certains. Il vaut mieux éviter l'hécatombe. Attendre ou laisser pourrir la situation sera dangereux pour ceux qui misent sur cette solution.

     

    KIMPWANZA : Le régime de Brazzaville n'a jamais reconnu la légitimité de M. Bernard Kolélas comme Premier ministre. Qu'en dites-vous ?

    JCMM : D'abord c'est de l'histoire ancienne. Mais puisque vous voulez connaître mon point de vue à ce sujet, permettrez que j'en dise quelque chose.

    M. Bernard Kolélas avait été nommé Premier ministre par un Président de la République élu au suffrage universel. M. Sassou et son parti avaient très largement contribué à l'élection du président Lissouba, lequel tirait sa légitimité de la Constitution de 1992 adoptée par le Peuple congolais par voie référendaire. Quoi de plus normal ! M. Bernard Kolélas ne tenait pas sa légitimité de Premier ministre de la main d'un homme arrivé ou revenu au pouvoir la violence, la guerre, le crime tous azimuts. Non plus, sa légitimité ne reposait pas sur une Constitution bancale, violée par ceux qui l'on imposée à tout le pays et qui, jusqu'à ce jour dans ses dispositions, ne prévoit nulle part le poste de Premier ministre. Et pourtant il y en a bien un au Congo, un Premier ministre. Qui donc, de M. Bernard Kolelas et de l'autre a été ou est plus légitime, quand on sait que celui qui a nommé M. Isidore Mvouba, Premier ministre, a été élu (?) en 2002 avec une sommation des résultats de 100,1% de suffrages au lieu de 100% ?

    C'est ici et devant un cas aussi flagrant que le président de la Cour Suprême de l'époque aurait proclamé l'invalidité du scrutin et aussi déclaré comme anticonstitutionnelle, la nomination d'un premier ministre par le même homme issu de l'usurpation, et prévu nulle part par aucun texte qui, lui-même, a été violé de façon très éhontée. Ce n'est pas le Peuple congolais qui doit en rougir de honte, ce sont plutôt ceux qui ont prêté mains fortes à cet homme, qui est en train de broyer le pays, qui devraient avoir à réfléchir sur leur choix. Bien entendu, s'ils ont encore un brin de dignité humaine, à moins qu'ils soient des requins, des rapaces, des vautours et des charognards.

    S'il vous plaît, passons à autre chose.

     

    KIMPWANZA : Il s'est tenu à Versailles, un Conclave organisé et présidé par l'ancien chef des Services Spéciaux du Congo, le Général Emmanuel Ngouelondele Mongo, contre son ancien patron le Général Denis Sassou Nguesso, Président de la République du Congo. Qu'en pensez-vous ?

    JCMM : Vous savez, le Congo est à la croisée des chemins. Aujourd'hui, plus besoin de le rappeler, le Congo est par terre, ruiné. Tout a été saccagé, détruit, démoli dans tous les domaines. Aucun secteur de la vie active n'a été épargné. Les caisses de l'Etat sont pillées, dévalisées éhontément ; la sacralité de la vie humaine est bafouée quotidiennement. Des femmes, des hommes, des jeunes, des enfants en bas âges jusqu'au vieillards ont été violés, massacrés, sans états d'âme, par des troupes et milices aux ordres des hommes sans foi ni loi.

    Longtemps, très longtemps, le peuple congolais a attendu qu'un ou des éléments issus du sérail se lèvent et disent enfin "NON, ÇA SUFFIT". Mieux vaut tard que jamais dit-on, voilà qu'un des fils du pays et pas des moindres, en dépit de ses rapports familiaux avec l'homme au pouvoir et des conséquences que tout cela impliquent, s'est levé et a dit : "NON, ÇA SUFFIT". C'est là un ACTE majeur qui ne doit pas passer inaperçu, nous laisser indifférents, et que les Congolais ne doivent pas apprécier du bout des lèvres. Car, au jour d'aujourd'hui, à moins de se masturber l'esprit, aucun homme seul, aucune région seule, aucune tribu seule, aucune ethnie seule, aucun parti politique seul, ne peut plus prétendre en finir avec le système de l'indignité nationale en place dans notre pays, SEUL, sans une coalition nationale.

    Le réveil et la prise de conscience du général Ngouelondele Mongo, qui a longtemps été l'un des principaux dirigeants de la synarchie encore au pouvoir à Brazzaville, devraient interpeller tous les Congolais, indifféremment de leurs origines ethno-tribales.

    Pour ma part, je pense simplement que l'heure devrait être au rassemblement, à la conjugaison des forces et des énergies, indifféremment de nos familles politiques respectives, pour aller vers la REFONDATION de la Nation, de la République ; l'heure devrait être au regroupement et au rassemblement des femmes et des hommes de bonne volonté, profondément patriotes, pour mettre un terme à la barbarie et à cette folie meurtrière.

     

    KIMPWANZA : Récemment, il s'est aussi tenu à Paris un Colloque sur la Région du Pool. Quelle est votre appréciation de l'initiative ?

    JCMM : Chez nous au Congo, particulièrement dans la région du Pool dont je suis issu, un proverbe dit : "Lorsqu'un malafoutier (récolteur de vin de palme) perd son couteau, il est obligé de le chercher dans tous les coins et recoins". Ceci dit, je ne peux qu'applaudir à cette initiative en espérant qu'elle apportera quelque chose de positif, surtout de constructif.

    Vous savez, il faut d'abord balayer devant sa propre porte avant d'aller chercher de l'aide et du réconfort auprès de l'autre. Comment peut-on aller s'asseoir autour d'une table avec nos autres compatriotes qui souffrent autant que nous, si nous y allons en ordre dispersé et si nous n'avons pas, auparavant, aplani nos propres contours ou divergences ?

    Cette région, le Pool, comme toutes les autres d'ailleurs, appelée, pudiquement aujourd'hui, "Département", peut-être pour mieux camoufler le caractère et les pratiques systémiques d'apartheid basés sur la discrimination et la ségrégation ethniques et tribales que lui applique un régime venu d'ailleurs et mis en place par le biais du coup d'Etat du 5 juin 1997, a toujours été et depuis bien longtemps, le théâtre et victime de bien de tribulations.

    C'est dire que le destin de cette région est écrit avec le sang. Mais le calvaire de la région du Pool a pris une tournure beaucoup plus dramatique à partir de 1968, année d'accession au pouvoir au Congo-Brazzaville du Conseil national de la révolution (CNR), ancêtre du Parti congolais du travail (PCT), dont les principaux dirigeants sont les actuels gouvernants du Congo.

    Aussitôt parvenus au pouvoir, les complots imaginaires et les massacres humains ne se comptent plus. Avec eux, la privation des droits humains les plus élémentaires. La prédation de vies humaines dans cette région deviendra plus virulente et répétitive, et s'accélérera à partir de 1970 ; chaque fois à l'issue de coups d'Etat plus ou moins vrais, supposés ou imaginaires, mais toujours attribués aux cadres civils et militaires ressortissants de la région du Pool. En tout cas, au Congo post-indépendance, il n'y a pas une région qui voit "partir" ses enfants de façon aussi brutale, tragique et dramatique que celle du Pool. Ils sont purement et simplement suppliciés !

    Les guerres successives, savamment préméditées, bien calculées et très méthodiquement mûries, d'une intensité jamais connue avant 1993, à l'actif des pouvoirs par procuration établis dans le pays, ravagent cette région. Aussi, en raison de l'omerta du système PCT, ailleurs et vues de loin, ces guerres sont regardées et assimilées à des guerres civiles ou inter-ethniques. Ce qui n'en est nullement le cas, car une guerre civile ou inter-ethnique suppose l'affrontement de deux voire plusieurs ethnies ou tribus. Or dans le cas d'espèce du Congo-Brazzaville, quant à la région du Pool, c'est le pouvoir établi qui chasse sur les terres de celle-ci pour y prélever ses "gibiers". Ainsi les populations civiles, abandonnées par tous, y compris la communauté internationale, et livrées à elles-mêmes, y sont systématiquement devenues les victimes expiatoires d'un système politicien inhumain de type stalinien - avec des pratiques héritées certainement de feu Ceaucescu -, mis en place dans le pays avec l'aide de l'étranger.

    Volonté délibérée d'exterminer, d'anéantir, faisant partie d'un plan concerté et mûri de longues dates ou méthode préméditée pour asseoir "son autorité" (politique ?) aux fins de l'écrasement de l'autre ? La question reste posée. Cependant, et c'est le moment de l'affirmer, il s'agit là d'une hégémonie basée sur un critère purement tribal ayant pour conséquence l'extermination totale d'un peuple et donc aussi l'annihilation de la culture kôngo. Tel est le pan de l'histoire dont les experts auront plus tard à démêler les écheveaux.

    Dans Barbarie et folie meurtrière au Congo-Brazzaville - Un châtiment collectif pour appartenance ethnique par exemple, Krysis Kilokila-Kiampassi dissèque le quotidien des populations du Pool oubliées et abandonnées à leur sort. (1).

    Dans cette trame tragique et dramatique, il y a aujourd'hui d'un côté, une résistance qui n'a pas eu, me semble-t-il, assez d'autorité pour contrôler ses éléments devenus indisciplinés et donc en proie à l'anarchie. De l'autre, un régime issu d'un coup d'Etat, né du sang, qui n'arrive pas à se surpasser, incapable de canaliser les excès de ses "hommes", de se "civiliser", d'asseoir l'Etat de Droit, de réconcilier véritablement le peuple congolais avec lui-même. Mais au contraire, c'est dans un flot de sang qu'il conduit les Congolais, tous les Congolais, vers une destinée inconnue. Ce régime y trouve donc une réelle délectation, sinon il aurait tout fait pour stopper net ces "dérapages" (sic).

    En conséquence, au regard de ce qui précède, il convient donc d'affirmer ici que, par manque d'un plan pour une concorde nationale, les gouvernants de Brazzaville ne doivent leur vie et leur survie qu'à travers une politique de répression aveugle sans laquelle ils n'auraient plus aucune existence.

    En tout cas, ce "châtiment collectif pour appartenance ethnique" infligé à la population du Pool est la preuve, sans appel, que le régime de Brazzaville masque ses limites, ses insuffisances, et donc son incapacité à gouverner le pays et, partant, à insuffler une dynamique pour sortir le pays du chaos dans lequel il l'a plongé.

    Ceci dit, longtemps, très longtemps et toujours, les populations du Pool ont été manipulées. On a tout fait pour présenter les ressortissants du Pool comme différents les uns des autres :

    - que tel est Sundi ;

    - que tel autre est Lâri ou Kongo ;

    - qu'ils n'ont rien de commun et en commun ;

    - que donc rien ne les unit.

    Cette distinction ou différenciation des uns et des autres qui repose sur le principe bien connu de "DIVISER POUR REGNER" a fait que la région, intra muros, a vécu et vit encore à ce jour sous des tensions opposant les uns aux autres, chacun rejetant ou repoussant l'autre, à la grande satisfaction des manipulateurs. Et l'homme du Pool est tombé bêtement, très facilement dans ce piège infernal, implacable et infâme. Parce que, retenons-le, le drame, la tragédie de la région du Pool trouvent ses racines dans cette médiocrité. Alors, à tous les ressortissants de la région de prendre conscience et de saisir cette chance pour nous retrouver avec nous-mêmes et, par la même occasion, balayer devant notre propre porte.

     

    KIMPWANZA : Que dites-vous du transfert des restes de Pierre Savorgnan de Brazza d'Alger à Brazzaville ?

    JCMM : S'agissant de l'exhumation et du transport des restes de Pierre Savorgnan de Brazza d'Alger à Brazzaville, sans doute pour une meilleure sépulture, humainement parlant et du point de vue historique, cela n'est pas une mauvaise chose. Mais, sur le plan purement politique, je dirais que le Peuple congolais n'est pas en quête d'ancêtres. Et s'il y a un événement auquel les congolais participeraient très activement, ce sera sans nul doute celui du jour où la France (Etat) ouvrira le pan historique, resté obscur et secret à ce jour, concernant tous les suppliciés du Congo, et qu'elle leur remettra leurs dossiers, afin qu'ils sachent tous pourquoi. Car, jusqu'au jour d'aujourd'hui, l'Etat français refuse d'assumer son passé, un pan de son Histoire, si honteux soit-il.

    Ainsi donc, laissons à ceux qui sont en mal d'ancêtres se reconnaître en celui-là, Pierre Savorgnan de Brazza qui, lui-même, était un immigré au service de l'Etat Français. Peut-être, et pourquoi pas, y trouvera-t-il enfin la paix, en terre congolaise, surtout en cette période où l'Etat français - comme pendant la IIIème République qui avait fait imprimer des timbres-poste sur lesquels il avait été écrit : "Sauvons la race" -, est en train de promulguer des lois iniques contre ceux qui ne ressemblent pas aux Français de souche.

    Ceci dit, les Congolais s'en réjouiraient beaucoup plus aujourd'hui si c'était, et ne serait-ce que cela, les corps de tous les suppliciés dont on n'a jamais de tombes connues et ceux des "Disparus et suppliciés du Beach" qui étaient rendus à leurs familles.

     

    KIMPWANZA : Le président Sassou Nguesso est président en exercice de l'U.A. Pensez-vous qu'il réussira là où d'autres ont échoué ?

    JCMM : Je vois où vous voulez en venir. Il y a les dossiers de la Côte d'Ivoire, du Soudan, de la République Centrafricaine, du RDCongo, etc. Trop à la fois pour un seul homme. Mais, voyez-vous, comment peut-on se permettre d'aller donner des leçons de démocratie, de paix et de bonne gouvernance à d'autres quand on est arrivé soi-même au pouvoir dans des conditions inacceptables et indignes ? Comment cela peut-il être possible quand on refuse de balayer devant sa propre porte ? Comment peut-on aller prêcher la "BONNE NOUVELLE", parler de paix chez certains quand on est incapable ou qu'on refuse de la restaurer chez soi ? Mais espérons qu'il apportera mieux à d'autres et aux autres que chez lui-même. J'en serais très ravi pour eux.

     

    KIMPWANZA : Pour conclure, que diriez-vous à vos frères Africains en général et à vos compatriotes Congolais en particulier ?

    JCMM : Je n'ai pas deux messages à adresser aux uns et autres. Mon message est simple. Aux uns et aux autres d'y réfléchir : Il n'y a pas que l'arme à feu pour exterminer un peuple. Il y a les armes de la faim, de la soif, de l'école, des soins médicaux, etc. Réfléchissons-y.

    "La Paix, la Liberté, la Démocratie, le Droit à la Vie et la Dignité humaine ne sauraient être, comme une chasse gardée, un monopole et un luxe réservés spécialement à une certaine sphère".

     

    Propos recueillis par André Patrick Tchissambou pour Kimpwanza ( http://www.kimpwanza.org)

     

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    (1) - Krysis Kilokila-Kiampassi, Barbarie et folie meurtrière au Congo-Brazzaville - Un châtiment collectif pour appartenance ethnique, Ed. L'Harmattan, Paris, 2005. - ISBN : 2-7475-8410-0



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    "L'ascension sociale se faisant sans échelle, ceux qui se dégagent et s'élèvent ne peuvent que monter sur les épaules et sur la tête de ceux qu'ils enfoncent.." (Lanza Del Vasto).

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